Actes Sud, Août 2010
Prix Goncourt des lycéens 2010
Un vrai succès de librairie, vendu à ce jour à 135 000 exemplaires.
Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles, de rois, de chevaux, de diables, d'éléphants et d'anges, mais n'omets pas de leur parler d'amour et de choses semblables.
La citation initiale appartient à Kipling, dans l'introduction d'Au hasard de la vie.
Trois balles de fourrures de zibeline et de martre, cent douze panni de laine, neuf rouleaux de satin de Bergame, autant de velours florentin doré, cinq barils de nitre, deux caisses de miroirs et un petit coffre à bijoux: voilà ce qui débarque après Michel-angelo Buonarrotti dans le port de Constantinoplele jeudi 13 mai 1506. A peine la frégate amarrée, le sculpteur a sauté à terre. Il tangue un peu, après six jours de navigation pénible. On ignore le nom du drogman grec qui l'attend, appelons-le Manuel; on connaît en revanche celui du commerçant qui l'accompagne, Giovanni di Francesco Maringhi, Florentin établi à Istanbul depuis cinq ans déjà. Les marchandises lui appartiennent. C'est un homme affable, heureux de rencontrer le sculpteur de David, ce héros de la république de Florence.
Evidemment Istanbul était bien différente alors; on l'appelait surtout Constantinople; Sainte Sophie trônait seule sans la Mosquée bleue, la rive orientale du Bosphore était désolée, le grand bazar n'était pas encore cette immense toile d'araignée où se perdent les touristes du monde entier pour qu'on les y dévore. L'Empire n'était plus romain et pas encore l'Empire, la ville balançait entre Ottomans, Grecs, juifs et Latins; le sultan avait nom Bayazid, le deuxième, surnommé le Saint, le Pieux, le Juste. Les Florentins et les Vénitiens l'appelaient Bajazetto, les Français Bajazet. C'était un homme sage et discret, qui régna trente et un ans; il aimait tâter du vin, de la poésie et de la musique; il ne rechignait ni aux jeunes hommes, ni aux jeunes femmes; il appréciait les sciences et les arts, l'astronomie, l'architecture, les plaisirs de la guerre, les chevaux rapides et les armes tranchantes. On ignore ce qui le poussa à inviter Michel-ange Buonarrotti des Buonarrotti de Florence à Istanbul, même si le sculpteur jouissait déjà, en Italie, d'un grand renom. A trente et un ans, certains voyaient en lui le plus grand artiste du temps. On le comparait souvent à l'immense Léonard de Vinci, de vingt ans son aîné.
Voilà un petit (152 pages) roman savoureux au titre merveilleux. A partir de quelques éléments réels (l'invitation du sultan, les lettres de Michel-Ange à son frère, les plans de Sainte-Sophie envoyés à l'architecte du Vatican, le dessin d'un pont sur la Corne d'Or de Léonard de Vinci, l'esquisse Projet d'un pont pour la Corne d'Or attribuée à Michel-Ange entre autres), Mathias Enard brode et relate le séjour de Michel-Ange, ses rencontres, sa fascination pour Constantinople. Des chapitres courts, une ou deux pages, et la magie opére.