P.O.L., Août 2011
Lauréat prix Renaudot 2011 , première sélection prix Goncourt 2011 .
Lauréat du prix de la Langue française 2011
Lauréat du prix des Prix littéraires 2011
15 jours que ce roman épais me nargue sur ma pile de livres! 15 jours que je retarde le moment de l'ouvrir, rebutée par son épaisseur (489 pages), son titre, son sujet! J'ai traîné trop longtemps un autre pavé qui aurait mérité 300 pages de moins, au moins!, et je souhaite un peu de légèreté. Mais bon, il fait beau, je dispose du temps du déjeuner pour le déflorer, alors...
Une page, une seule page, mon appétit de lectrice est éveillé et je sais que je ne ferai pas tout ce que j'ai prévu aujourd'hui, que je vais essayer de retourner le temps pour grappiller quelques minutes de plus et finir au moins le chapitre, puis que je vais courir pour rattraper ces précieuses minutes.
Une biographie romancée sur un homme qui fascine l'écrivain et une plongée en Russie, puis embarquement dans les valises de cet inclassable à New York, Paris, Belgrade.
Limonov, lui, a été voyou en Ukraine; idole de l'underground soviétique, clochard puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan; écrivain à la mode à Paris; soldat perdu dans les Balkans; et maintenant dans l'immense bordel de l'après-communisme, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud: je suspends sur ce point mon jugement. Mais ce que j'ai pensé, après avoir simplement trouvé drôle l'anecdote des lavabos à Savatov, c'est que sa vie romanesque et dangereuse racontait quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Quelque chose, oui, mais quoi? Je commence ce livre pour l'apprendre.
Ce récit est aussi une vision de l' histoire de la Russie depuis 50 ans. C'est tout le talent de Carrère, remarquable observateur, de dépasser la biographie pour dessiner "un" portrait de notre monde. Hypnotisant!
La révolution a cessé de dévorer ses enfants, le pouvoir, selon le mot d'Anna Akhmatova, est devenu végétarien.
( )
Seule en France, mais d'accord avec l'immense majorité des Russes, ma mère parlait de Gorbatchev comme d'un apparatchik débordé par les forces qu'il avait sans le vouloir mises en branle, et d'Eltsine comme de l'homme incarnant l'aspiration de son peuple à la liberté. Formé par le communisme, il avait eu le courage de rompre avec lui. Il avait suivi, au côté d'Elena Bonner, le cercueil de Sakharov. Il avait défendu la Maison Blanche comme La Fayette avait pris la Bastille, déclaré hors la loi le parti qui étouffait les consciences et liquidé l'Union qui emprisonnait les nations.
( )
Cependant, à l'idée qu'on veuille les rendre moins riches, les oligarques prennent peur, d'autant plus peur qu'ils viennent d'inventer et de vendre à Eltsine une combine merveilleuse pour s'enrichir encore davantage: "les prêts contre actions". ( ) L'échéance tombe après la présidentielle, il est donc vital pour les oligarques qu'Eltsine soit encore président à ce moment
( )
Dans le chaos des premières années 90, il (Poutine) s'est retrouvé parmi les perdants, les floués, réduit à conduire un taxi. Arrivé au pouvoir, il aime, comme Edouard, se faire photographier torse nu, musclé, en pantalon de treillis, avec un poignard de commando à la ceinture. Comme Edouard, il est froid et rusé, il sait que l'homme est un loup pour l'homme, il ne croit qu'au droit du plus fort, au relativisme absolu des valeurs, et il préfère faire peur qu'avoir peur. Comme Edouard, il méprise les pleurards qui jugent sacrée la vie humaine.( ) La différence avec Edouard, c'est que lui a réussi.
Carrère est très agréable à lire, intéressant, bien informé.
Cependant, j'ai quelques bémols:
Il est trop fasciné par Limonov.Il ne peut s'empêcher d'être parfois très vulgaire comme dans son précédent roman, D'autres vies que la mienne: un moyen de se comporter comme un "mauvais garçon" et de s'éloigner de sa bonne éducation et de sa vie rangée dont il se plaint?Et un égocentrisme, non dénué de complaisance, exaspérant.
Mon idéal était de devenir un grand écrivain, je me sentais à des années -lumières de cet idéal et le talent des autres m'offensait. Les classiques, les grands morts, passe encore, mais les gens à peine plus âgés que moi ... S'agissant de Limonov, ce n'est pas au premier chef son talent d'écrivain qui m'a impressionné. ( ) Plus je le lisais, plus je me sentais taillé dans une étoffe terne et médiocre, voué à tenir dans le monde un rôle de figurant, et de figurant amer, envieux, de figurant qui rêve des premiers rôles en sachant qu'il ne les aura jamais parce qu'il manque de charisme, de générosité, de courage, de tout sauf de l'affreuse lucidité des ratés.
2ième sélection prix de Flore 2011
En raison du succès de ce roman, après Journal d'un raté, Albin Michel rééditera en novembre deux autres romans d'Edouard Limonov: Autoportrait d'un bandit dans son adolescence et Le petit salaud.
Limonov abandonne sa nationalité française. Lire:link