Stock, août 2010.
Sélection du prix des lecteurs des Ecrivains du Sud 2011
Entretien des Ecrivains du sud, le 18 Novembre 2010.
Pour un premier roman, c’est un coup de maître.
Le souvenir en résonne bien après la dernière page refermée.
Mais Judith Perrignon n’en est pas à son premier essai en littérature.
Après des études de journalisme, elle travaille dans la presse écrite. Puis pendant plusieurs années, elle dresse des portraits pour la dernière page de Libération. « … des voix ! ». Elle est actuellement collaboratrice à XXI et Marianne.
Elle a également écrit plusieurs ouvrages à 4 mains. « Les livres en collaboration sont un sas entre le journalisme et l’écriture romanesque ». Elle travaille actuellement sur un livre en collaboration avec Eva Joly, « une femme qui a des choses à dire ». Lire: Les yeux de Lira. Eva Joly, Judith Perrignon
« C’est un grand moment de liberté d’écrire un roman ou un journal.
J’avais en tête cette Petite Roquette, une prison de femmes devenue un jardin public où rient des enfants, où j’ai emmené les miens. J’ai pensé à la démolition en 1973, le chantier de l’oubli. Avec mes réflexes de journaliste, j’ai fait des recherches, mais l’administration pénitentiaire n’a plus rien.
Des gravats, j’ai voulu faire émerger des voix. J’ai construit ce roman en spirale de chagrin ajouté, vers une résolution apaisée.
C’est la quête d’une mère, celle du père est moins évidente. Ce n’est pas dit au début ».
Le roman débute ainsi dans les décombres et le souvenir de cette prison.
Il n’y a plus de trace de rien là-bas. On a déversé des tonnes de sable, vissé des balançoires, planté des arbres et décrété l’insouciance. Les enfants ne semblent pas savoir ce que c’est qu’attendre. Leurs mères les regardent, un sac plein de gâteaux et d’habitudes posé juste à côté d’elles, on dirait qu’elles s’ennuient, qu’elles n’ont d’autres choix que d’être là, à heure fixe, entre l’école et le repas. Regarde-moi ! dis, regarde-moi ! leur crie l’enfant. Mais qui surveille qui sur l’aire de jeux ?
Là-bas, la mémoire complote. Les chemins serpentent. Le terrain fait de vagues. Le toboggan est habillé d’une tour qui ne guette plus rien. Le pigeonnier ressemble à un mirador. Le grillage court autour des pelouses interdites. Alors, assise sur un banc à l’écart, j’ai cherché une prison sous le sable, un très haut mur sous les arbres, j’ai guetté Helena dans un square, comme avant, comme quand j’étais petite. Et plus le temps passait, plus j’entendais la Roquette, petite Roquette, prison de femmes sur laquelle des gamins jouent. C’est là qu’elle s’est éteinte et là que je suis née. Je ne le savais pas, je l’ai lu dans les lettres de Mila.
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Tu dois être plus heureuse que moi, Helena, parce qu’un jour il faut que ça s’arrête le mauvais sort. Ils vont détruire la Petite Roquette, c’est écrit sur un panneau au-dessus de la porte. Un jour tout le monde aura oublié ce qu’il y avait là, sauf toi et toutes celles qui y sont passées. Mais ta mémoire ne doit pas être une autre prison.
Dans les années 70, Helena a commis un braquage avec un homme. elle a été arrêtée, l’homme est parti. Elle a accouché, en prison, à la petite Roquette. Sa peine purgée, elle sort, et retrouve sa fille Angèle dont elle s’occupe sans amour, murée dans l’orgueil de son amour enfui.
Angèle, chaque centimètre que vous preniez disait le temps qui passe, le silence qui dure et l'amant qui ne reviendra pas.
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Je vous ai vue courir derrière elle, le nez à hauteur de ses cuisses qui marchaient en ayant l’air de fuir. Comment vous dire, Angèle ? Je n’ai jamais oublié cette image. Depuis que nous nous voyons, c’est comme si je vous avais toujours connue et ne faisais que vous retrouver.
Ce récit à voix croisées retrace l’histoire des trois femmes, grand-mère, mère, fille et dessine le portrait en négatif d’une amoureuse figée dans le souvenir de cet amour. « Angèle cherche sa mère, la femme amoureuse, a besoin de comprendre le couple, pourquoi cet homme est parti, pourquoi la mère s’est murée dans cet amour. »
On entend la voix de tous sauf celle du personnage central Héléna qui ne parle pas ou peu. Tous tentent de la cerner, de la décrire, de la trouver. Tous l’éclairent à travers leur propre histoire.
Je vends des jouets anciens dans l’allée numéro 7, marché Vernaison, aux puces de Saint Ouen. Je m ‘appelle Angèle, je vis parmi les trains, les canots à bassin, les poupées, les soldats, les robots, les animaux. C’est une drôle de vie, les jouets vous font croire qu’elle ne fait que commencer mais ils sont si vieux que tout a déjà l’air terminé. Je me lève tôt. Je parcours les salles des ventes, les salons, et j’entre chez des gens qui débarrassent leurs maisons des souvenirs. Ca m’emmène loin parfois. Je voyage. Je ramasse la vie des morts. Mais j’ai choisi ce qu’ils laissent de plus beau, ce temps pas toujours tendre, où l’on disait en chuchotant ou en criant, Je veux maman.
Moi c’était en chuchotant.
Lettres, petites annonces, confessions, journal intime: les genres s’entremêlent.
« La place des lettres dans ce roman est importante. Pas des lettres trouvées, des lettres écrites. J’ai gardé en mémoire des rencontres, des portraits de mes années à Libération. J’ai essayé d’imaginer une femme seule de 50 à 60 ans, avec un bébé qui dort dans la pièce à côté et sa fille en prison. Elle pense aux femmes et à leurs destins. Les filles d’aujourd’hui ne seront peut-être pas plus heureuses mais elles auront plus d’air. Elle voit le temps passer. Elle lui parle en tant que mère, en tant que femme, elle est parfois en colère ».
Qu’est-ce que tu crois, Héléna, que tu es la première à souffrir? la première qu’on abandonne ? Relève-toi, s’il te plaît ! regarde autour de toi, tu es certainement la plus jeune de celles qui t’entourent, tu n’as encore rien vu, d’autres bonheurs, d’autres chagrins t’attendent, relève-toi !
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16 novembre 1969
Aujourd’hui Angèle a deux ans.
Elle mesure 84 centimètres et je voudrais qu’elle ait grandi tout autant dans ta tête et dans ton cœur.
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J’écris dans le désordre, j’écris parce que, ensuite, tu ne me laisseras pas te parler, te dire ma joie, les larmes qui me viennent à l’idée qu’enfin tu sois dehors, l’envie que j ‘ai de te serrer dans mes bras. Je n’oserai pas de toute façon, je n’oserai plus. J’écris parce que je n’ai que cela, parce qu’il faut que tu viennes pour Angèle. Je mets le photomaton dans l’enveloppe. Je sais bien qu’elle sera sous tes yeux le rappel à vie d’une absence, mais elle n’y est pour rien. Regarde-la plutôt comme la preuve que c’est arrivé, que cet homme qui s’est enfui t’a un jour aimée.
Helena, si tu reviens, c’est pour Angèle, sinon ne reviens pas.
Mila
Ce roman remarquablement bien construit, à l’écriture achevée, où rien n’est laissé au hasard m’a énormément émue.
« J’écris très très doucement, pas à pas, je relis à haute voix, je cherche les mots. Les écrivains que j’aime ont des écritures musicales. »
Bibliographie
Mauvais génie, co-signé avec Marianne Denicourt, Stock, janvier 2005. link
C'était mon frère, éditions l'Iconoclaste, 2006. Version poche, Folio, juin 2009. link
La Nuit du Fouquet's, co-signé avec Ariane Chemin, Fayard, 2007. link
Lettre à une mère, avec René Frydman, éditions l'Iconoclaste, mai 2008.
Les Secrets des mères, avec René Frydman, éditions l'Iconoclaste, mai 2008. link
L'Intranquille, co-signé avec Gérard Garouste , 2009, éditions l'Iconoclaste. link