Fayard, septembre 2011
Coup de coeur.
Deuxième sélection prix Goncourt et 3ième sélection prix Renaudot 2011
Prix des lecteurs des Ecrivains du Sud 2012. Sélection.
Globe de cristal littérature 2012
Roman, il est écrit que c'est un roman. C'est aussi un fait divers, sinistre, effrayant. Et le livre n'est pas le récit du fait divers, il est ce que la littérature amène à la réflexion sur un fait-divers.
L'écriture au couteau, on entend souvent le terme d'écriture blanche, de Sportès ne laisse aucune place au pathos, ne juge pas, décrit l'enchaînement de circonstances, l'implication de chaque protagoniste, la soumission au chef, le refus de la responsabilité. Un problème sociologique est posé. Remarquable.
En 2006, un citoyen français musulman d'origine ivoirienne a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive. J'appelle le premier Yacef, le second Elie. L'un a 25 ans, l'autre 23. J'ai réélaboré ces faits à travers mon imaginaire, pour en nourrir une création littéraire, une fiction. Seule leur logique m'intéressait, leur signification implicite: ce qu'ils nous disent sur l'évolution de nos sociétés. Au demeurant, qu'est-ce qu'un "fait"? Les médias, sur cette affaire, ont produit nombre de variations romanesques: le gang des barbares. Différemment sans doute, mon livre appartient au genre du roman. Appelons-le: "conte de faits".
Les faits sont réels et personne ne peut les ignorer: Morgan Sportès a enquêté très précisément sur le tragique enlèvement d'Ilan Halimi par "le gang des barbares", son calvaire et son meurtre. Il a lu les dossiers (8000 pages), il s'est rendu sur place, il a rencontré les policiers, les avocats, des témoins, il a lu les comptes-rendus des communications entre Fofana et la famille, il a correspondu avec certains détenus.
Les faits sont réels et pas une minute, le lecteur ne peut s'abstraire de ce fait.
Morgan Sportès met en scène les faits, accumule les détails, adopte un style un peu froid, d'une précision chirurgicale, utilise le langage des "cailleras" (les Blancs, par exemple sont des jambons-beurre ou des Gaulois; les juifs, des Feujs) et démontre l'incroyable engrenage suivi par cette troupe sordide de "Pieds-Nickelés".
Il décrit des jeunes d'origines diverses, mineurs, jeunes parents, incultes, déscolarisés, incapables de s'exprimer (ils disent avoir des relations "spiritueux" avec la religion, ils parlent de "l'escale" de la violence) vivant de petits trafics, tous obsédés par l'argent facile, incapables de comprendre la gravité de leurs actes, et ne discernant pas la fiction de la réalité.
Il décrit des jeunes ne sachant pas conduire, ou conduisant mal, se perdant dès qu'ils sortent de leur cité, ratant tout ce qu'ils entreprennent.
Je veux tout et tout de suite, la street m'a toujours coaché
J'suis toujours chaud, eh, négro, j'suis jamais fauché...
Quand ma Lamborghini est sale, j'appelle Sarkosy pour un coup de Karcher...
Mes lyrics te pètent les chicots, c'est mieux pour sucer des bites
Le rap, la drogue, les courses poursuites
J'ai pas le temps pour le Smic
Les Assedic, moi j'veux tout et tout de suite...
Booba, Tout et tout de suite
Effrayants. Ces jeunes perdus ont été élevés en France, ont suivi les cours de l'école républicaine et pour certains ont été élevés par des parents intégrés qui travaillent et s'inquiètent pour leurs enfants.
Les barbares ne viennent donc pas d'une lointaine et archaïque périphérie de l'abondance marchande, mais de son centre même.
Jaime Semprun, L'abîme se repeuple, 1997
Il faut lire ce livre!
Morgan Sportès avait déjà écrit" L'Appât", en 1990, adapté au cinéma par Tavernier, sur un autre fait divers démontrant la spirale infernale menant à l'assassinat.
Une expérience scientifique peut donner une des clefs pour comprendre cet engrenage et la passivité des membres du gang: Expérience Milgram, I comme Icare
L' opinion de mon amie Sophie à lire ici