1ère surprise: en discutant avec mon professeur de théâtre, j’apprends la discrimination dont est victime sa compagnie théâtrale. Je cite :
J’ai deux amours : mon accent et Paris...
Paris 1995 : la directrice d’un théâtre qui nous recevait pour étudier notre projet de jouer, dans son lieu, « Une demande en mariage » et « Les méfaits du tabac » n’attendit pas la fin des présentations pour s’écrier, l’air aussi surpris qu’arrogant : " Vous comptez jouer du Tchekhov avec cet accent" ? Nous ignorions alors qu’Anton Tchekhov était parisien !
2ème surprise: j’entends à la radio une critique sur un film « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour » et son acteur principal : Julien Doré. Le commentateur critiquait son accent du sud qui rendait le personnage ridicule et peu crédible dans une histoire d’amour.
J’aurais préféré une critique sur son jeu !
Faites-vous une idée: link
Allons bon, messieurs du sud, perdez votre accent ou vous ne pourrez plus vivre aucune histoire d’amour !
3ème surprise. Autre cours de théâtre, autre prof. A la suite d’une impro (plutôt réussie au demeurant) d’une des élèves, le prof lui demande de recommencer mais cette fois sans accent car elle perd de sa crédibilité. A la suite de ma protestation, on m’oppose l’argument du « bon français » !
Provençaux, Alsaciens, Bretons, Corses, Basques, Suisses, Belges, et autres, saviez-vous que vous ne parliez pas « le bon français » ?
J’aurais préféré qu’il explique que si elle voulait trouver du travail comme actrice, son accent pouvait se révéler pénalisant. Il aurait juste constaté une injustice.
Mais le fait de porter un jugement de valeur sur cet accent, c’est se faire l’écho de l’état d’esprit collectif et primaire qui assimile l’accent régional au burlesque et au ridicule.
Alors?
Notre pays n’est-il pas riche de ses diversités ? Nier les accents, n’est-ce pas nier l’histoire de ses régions, de ses peuples, de ses cultures, de ses langues qui au fil du temps se sont regroupées pour former la France d’aujourd’hui ?
Comme professeur de français, je me suis toujours attachée à familiariser mes étudiants avec les différents accents , les différences culturelles, ainsi que les différents niveaux de langue. Il n’existe pas « le bon français unique», mais le français que telle personne emploie à tel moment, dans tel contexte et avec tel interlocuteur. Et cette variété-là fait toute la saveur de la langue. J’élargis le problème mais s’il n’y avait qu’un français, comment Raymond Queneau aurait-il pu écrire le génial « Exercices de style» [1]?
La discrimination existe, c’est un fait, inutile de le nier (et pas seulement la discrimination liée à l’accent), mais les artistes ne devraient pas se faire l’écho de la pensée unique et devraient être les premiers à lutter contre l’uniformisation et le conformisme.
La moralité moderne veut que l'on accepte les normes de son époque. Qu'un homme cultivé puisse les accepter me semble la pire des immoralités. (O. Wilde)
[1] Exercices de style est l'un des ouvrages les plus célèbres de l'écrivain français Raymond Queneau. Paru en 1947, ce livre singulier raconte 99 fois la même histoire, de 99 façons différentes.
L'histoire elle-même tient en quelques mots. Le narrateur rencontre dans un bus un jeune homme au long cou, coiffé d'un chapeau orné d'une tresse tenant lieu de ruban. Ce jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s'asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur revoit ce jeune homme qui est alors en train de discuter avec un ami. Celui-ci lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.