Babel, Actes sud, avril 2009. Gaïa, juin 2006
Un très joli titre, dans la veine de la mode actuelle des longs titres.
Une histoire d’amour incongrue et improbable, entre deux êtres que tout sépare, leur métier, leurs centres d’intérêt, et leur lieu d’habitation.
L'un "rat des champs", l'autre "rat des bibliothèques". L'un "plouc", l'autre "prout-prout". L'un trait les vaches, l'autre traite de Lacan. L'un est agriculteur, vit seul à la ferme avec ses 24 vaches, court après le temps, et vient se "reposer" sur la tombe de sa mère. L'autre est bibliothécaire, vit dans un appartement blanc, moderne et froid et se rend par devoir sur la tombe de son mari.
Au premier abord, côte à côte sur le banc au cimetière, ils s'énervent. Au deuxième aussi, d'ailleurs. Et pourtant, l’alchimie opère dans ce lieu inédit sur la Carte du Tendre par la grâce d'un sourire. Et ils s’aiment. Entre eux deux, un fossé plus grand qu’une, voire deux tombes, un fossé rempli de préjugés. L’auteure, mine de rien, pose la question des différences culturelles et du choix du partenaire au sein d’un groupe social différent.
L’humour de l’écriture, son ton moderne, contemporain, vif, rafraîchissant ainsi que la tendresse qui se dégage du livre sont les plus grands atouts de ce roman.
Si on peut regretter que le découpage à deux voix qui se succèdent soit un peu lourd et les personnages parfois caricaturaux, c’est un charmant roman dont l’humour mérite le succès rencontré.
Extraits de Benny :
Putain, je ne peux pas la blairer, je ne peux vraiment pas la blairer !
Pourquoi elle est tout le temps assise là ?
J'avais l'habitude de me poser un moment sur le banc après l'entretien de la tombe pour reprendre le fil de mes pensées. J'essayais de trouver un petit bout de ficelle auquel m'accrocher et qui me permettrait d'avancer encore un jour, ou deux. À la ferme, quand je cavale entre tout ce qu'il y a à faire, je n'arrive pas à penser. Si je ne me concentre pas sur ce que j'ai en mains, inévitablement arrive une mini-catastrophe qui me donne un jour de travail supplémentaire. Je plante le tracteur sur un rocher et l'essieu arrière pète. Une vache s'abîme un trayon parce que j'ai oublié d'attacher son protège-pis.
Me rendre sur la tombe est mon seul bol d'air, mais même là, j'ai du mal à me dire que j'ai le droit de faire une pause et de simplement penser. Il me faut d'abord biner et planter et m'activer, avant de m'autoriser à m'asseoir.
Et alors je la trouve assise là. Décolorée comme une vieille photo couleur qui a trôné dans une vitrine pendant des années.
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J'étais tombé amoureux d'elle. Ce n'était pas comme un déclic. Plutôt comme quand je touche la clôture électrique sans faire gaffe.
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Désirée - j'ai du mal avec son prénom. Il sonne à la fois cassant, constipé et hautain, tout ce que je croyais qu'elle était au début. Moi, je l'appelle la Crevette. Ca lui va tellement bien que c'en est presque méchant. Pâle, recroquevillée sur ses parties molles, une carapace autour. Et de longues antennes. Il y a tant de choses en elle que je ne comprends pas. Elle regardait longuement une photo de mes parents que personnellement j'aime énormément. Ils prennent le soleil allongés sur un rocher, à moitié nus, les bras et jambes entortillés. Ils sont joue contre joue, plissent les yeux au soleil et sourient. La photo la mettait mal à l'aise, elle la trouvait trop privée. - Après tout, ce sont tes parents, a-t-elle dit. Tu ne trouves pas qu'elle est un peu... eh bien trop personnelle. C'est presque choquant.
Extraits de Désirée
Avec Orjän, c'était clair, je savais qui j'étais. Nous nous définissions, c'est bien à ça que servent les relations de couple, non ? Alors que maintenant, qui suis-je ? Une femme totalement livrée à ceux qui par hasard la voient. Pour les uns je suis une électrice, pour les autres, piétonne, salariée, consommatrice de culture, capital humain ou propriétaire d'appartement. Ou alors une synthèse de cheveux aux pointes fourchues, de tampons périodiques qui fuient et de peau sèche.
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En général, je n'éveille pas plus d'intérêt chez les beaux mecs que le dessin de papier peint choisi par un responsable de HLM.
Biographie :
Née en 1944 à Stockholm, Katarina Mazetti a grandi à Karlskrona un port au sud de la Suède. Elle a obtenu une maîtrise en littérature et anglais à l'Université de Lun, avant de travailler comme professeur, puis comme producteur de radio et journaliste. Elle a été également critique littéraire, et auteur de livres pour la jeunesse.
Elle a rencontré un succès phénoménal avec Le mec de la tombe d'à côté, fondé sur son expérience en tant que femme d'agriculteur. Vendu à plus de 450 000 exemplaires, dans un pays de 9 millions d'habitants ! Il a été traduit en 16 langues.
Au théâtre du Petit Saint Martin
Mise en scène de Panchika Velez Avec Sophie Broustal et Marc Fayet |