Tous les Marseillais ont deux enfances: la leur et celle de Pagnol. Philippe Caubère.
Dictée de primaire
Ce matin-là, mon père décida qu'il était grand temps de couper les boucles blondes du petit Paul, qui réclamait depuis longtemps ce sacrifice.
"A l'école, disait-il, il y en a qui m'appellent la fille et moi ça ne me plaît pas."
(Il fut donc installé sur une chaise surmontée d'une petite caisse). On lui mit la serviette au cou, exactement comme chez le coiffeur. J'avais été chargé d'aller voler à la cuisine une casserole d'une taille convenable, et pour plus de sûreté, j'en avais pris deux.
Je lui mis la plus juste comme un chapeau, et j'en tins le manche : pendant ce temps, avec une paire de ciseaux, mon père trancha les boucles au ras du bord:( ce fut fait avec une rapidité magique, mais le résultat ne fut pas très satisfaisant, car ôtée la casserole,) la chevelure du patient apparut curieusement crénelée. ( Comme il réclamait le miroir, mon père s'écria: "Pas encore!")
Il tira alors de sa poche une tondeuse toute neuve, et dégagea la nuque fort habilement, (comme pour un condamné à mort, sur la couverture en couleurs du Petit Journal). Puis, avec un peigne et des ciseaux, il tenta d'égaliser les cheveux sur les deux côtés de la tête. Il y réussit assez bien , mais après un si grand nombre de corrections qu'elles ramenèrent leur longueur à zéro.
Vers 12/13 ans, je me souvenais encore de cette dictée, et avec mon premier argent de poche, j'ai acheté mon premier livre.
Ce fut un coup de foudre. J'ai découvert avec ravissement que le papa ne s'était pas arrêté à la tête de son fils mais qu'il s'était entraîné sur celle de sa fille!
Tout mon argent de poche a été englouti et j'ai ainsi dévoré tout Pagnol.
Un amour inconditionnel.
Alors commença la féerie et je sentis naître un amour qui devait durer toute ma vie.
La Gloire de mon père. Marcel Pagnol.