Grasset, Août 2011
Interview:
Un jour, il y a sept ans, en Tasmanie, le romancier australien Murray Bail me dit qu’il avait une histoire à me raconter – et il s’empressa d’ajouter qu’il n’avait pas l’intention de s’en servir pour l’un de ses livres. Dès qu’il eut terminé son récit, je lui demandai : “Et moi, je peux m’en servir ?”
Voici l’histoire. Un jeune homme arrive en retard à un enterrement et se rend compte, au beau milieu de la cérémonie, qu’il s’est trompé de chapelle. Il reste jusqu’à la prière, trop embarrassé pour partir avant la fin. À la sortie, on lui demande de signer le registre de condoléances. Par politesse, là encore, il s’exécute.
Quelques jours plus tard, il reçoit une lettre d’un avocat l’informant qu’il a hérité d’une fortune colossale. Le jeune homme se récrie : il ne connaissait pas le défunt, il était à son enterrement par erreur. Mais l’avocat lui dit que ces considérations n’ont pas la moindre importance : il “remplit les conditions”, le défunt ayant décidé, dans ses dernières volontés, de léguer toute sa fortune à ceux qui assisteraient à ses funérailles, et à eux seuls.
Ce point de départ avait la simplicité d’un mythe, et m’évoquait aussi les romances à la Robert Louis Stevenson. J’étais enthousiaste. Enfin une histoire dont je pouvais m’emparer ! Et enfin une histoire que je pourrais écrire rapidement ! (Certains de mes romans préférés ont été rédigés à toute vitesse – La Chartreuse de Parme, 52 jours ; Grandeur et décadence, d’Evelyn Waugh, quelques semaines à peine – et j’avais envie, rien que pour cette fois, de faire pareil.)
Je voyais déjà mon jeune héros, l’Héritier : impécunieux, trimant sans aucune perspective d’avenir dans une maison d’édition londonienne, et tout juste largué par sa fiancée.
Je voyais aussi une jeune femme, superbe et furieuse, arrivant dans la chapelle encore plus en retard que lui – trop tard pour que lui soit accordé le droit de signer le registre de condoléances, et donc d’hériter elle aussi. Cette jeune femme était, évidemment, la fille du défunt. Mais ce dont je n’avais encore aucune idée, c’était justement l’identité du millionnaire inconnu qui avait pu rédiger un tel testament, et en exclure sa propre fille.
Il me fallut trois ans pour résoudre cette énigme en écrivant le roman. Lentement mais sûrement, je me rendis compte que ma “simple romance” n’était pas si simple après tout. Le point de départ n’était précisément que ça, un point de départ : un feu follet qui avait embrasé mon imagination et m’avait non pas lancé, d’une plume alerte et facile, comme je l’avais espéré, vers de nouveaux horizons, mais ramené au contraire, plus que jamais, dans le marigot de hantises familières qui constitue l’habitat de tout romancier.
L’histoire, inévitablement, avait changé : ce n’était plus celle d’un jeune homme qui hérite de la fortune d’un inconnu. C’était l’histoire d’un jeune homme qui hérite, précisément, de sa propre histoire : un récit qui l’entraînerait d’un crématorium londonien, par un pluvieux après-midi de février, à la canicule foudroyante du désert australien, en passant par les collines ensanglantées de l’Arménie du début du XXe siècle. Et j’allais apprendre pour ma part, chemin faisant, qu’aucune histoire n’est jamais gratuite… »
De ce sujet inattendu, l'auteur a réalisé une fiction savoureuse. J'ai beaucoup aimé la première partie, très alerte, et moins la seconde partie, moins enlevée, mais l'ensemble est très distrayant. Un livre agréable.