
Coup de coeur.
Prix Virilio 2010 du meilleur roman francophone.
Meilleur livre 2010, catégorie roman français, du magazine Lire.
Elles sont une quinzaine sur la photo prise au bord du fleuve, des ouvrières courageuses (Méré, Iyissou, Batatou, Bileko, Laurentine et les autres). Cassées par la vie, elles cassent des cailloux et remplissent de lourds sacs sous le soleil africain pour la construction de l’aéroport voisin.
Révoltées par l’oppression et leur exploitation, elles décident un beau jour de demander une augmentation pour que leur labeur soit correctement rémunéré.
D'habitude, les acheteurs allaient directement inspecter les sacs avec l'arrogance de ceux qui ont l'argent, se complaisant dans la manière dont vous vous pressiez autour d'eux, telles des poules dans un poulailler s'égaillant autour de celui qui leur jette des graines à picorer ; ils savaient que vous étiez prêtes à subir toutes leurs vexations pour toucher ces fameux dix mille francs. Coups de gueule par ci : Eh toi là, ton sac n'est même pas plein, tu me prends pour un idiot, ajoute quelques cailloux pour bien le remplir si tu veux que je l'achète ! Mais c'est quoi ça ? Tu appelles ça du gravier ? Mais vas-y donc pendant que tu y es, vends-moi carrément les gros blocs que tu vois là-bas. Coups de pieds dans le sac qu'ils renversaient pour montrer à la vendeuse que ses cailloux n'étaient pas cassés assez petits.
Chers sœurs et camarades, nous sommes des femmes qui essayons de gagner notre vie en cassant et vendant la pierre. Il y a parmi nous des femmes qui sont allées à l’école et des femmes qui ne savent pas lire, il y a des jeunes et des plus âgées, il y a des femmes mariées et des célibataires, des veuves et des divorcées. Nous n’attendons pas que l’Etat nous donne un salaire. Nous, nous sommes des femmes actives et tout ce que nous voulons, c’est qu’on nous achète notre marchandise à son juste prix.
Cette juste revendication devient un combat collectif contre tous.
Vous ne vous attendiez pas du tout à ce que la riposte soit aussi rapide et brutale. Mis en déroute à onze heures, ces acheteurs de pierre sont revenus en force moins de deux heures plus tard, au moment même où vous vous apprêtiez à quitter le chantier. Seulement cette fois-ci ils ne sont pas venus seuls mais accompagnés par un commando armé. Bien que surprise, tu n'es pas étonnée outre mesure puisque la plupart de ces camions appartenaient aux gros pontes du régime en place qui se cachaient derrière des parents anonymes pour faire des affaires souvent louches. Pour eux, mobiliser la police pour défendre leur bien privé est tout à fait normal.
Soutenues par le sentiment de leur dignité, le refus de toutes les formes de domination, sachant profiter de concours de circonstances, ces véritables héroïnes découvrent la force collective, la solidarité et l’espoir.
Question de dignité, mes amies. Nous ne nous battons pas seulement pour un meilleur prix pour nos sacs, mais aussi pour qu’on nous respecte.
Demain sera peut-être un jour différent, un jour qui ne s’était jamais levé auparavant.
Tu penses à ces femmes de Guinée qui, les premières, avaient osé défier le dictateur Sékou Touré en organisant une marche sur son palais ; et aussi à ces femmes maliennes qui avaient bravé un autre dictateur, Moussa Traoré. Tu penses aux mères des disparus chiliens sous les fenêtres de Pinochet, aux femmes d’Argentine qui avaient manifesté pour les enfants enlevés. Plus tu y penses, plus tu es exaltée. Et les noms des femmes fortes de l’histoire te reviennent : Kimpa Vita qui, dans l’ancien royaume du Kongo, avait mené des troupes contre l’occupant portugais, Rosa Park qui avait refusé de céder sa place de bus à un blanc dans une ville du Sud des Etats-Unis d’Amérique.
C’est drôle, tragique, réaliste, féroce !
Un style fort grâce à l’emploi de la deuxième personne.
Ce matin, quand tu te lèves, tu sens que ce jour qui se lève avec toi est un jour qui ne s’est encore jamais levé, un jour différent.
Un roman social, humaniste, ironique et affectueux.
Pour Emmanuel Dongala, la femme est l’avenir de l’Homme.
Biographie
Né en 1941 d’un père congolais et d’une mère centrafricaine, Emmanuel Dongala a quitté le Congo au moment de la guerre civile de 1997. Il vit actuellement aux Etats-Unis, où il enseigne la chimie et la littérature africaine francophone à Bard College at Simon ’s Rock. Son roman Johnny chien méchant (Le Serpent à plumes, 2002) a été adapté au cinéma par Jean-Stéphane Sauvaire sous le titre Johnny Mad Dog.