Mercure de France, coll. « Bleue », Paris, 2010.
Sélection du prix des lecteurs des Ecrivains du Sud 2011
Paula Jacques a su inventer un univers autour d'un monde et une époque méconnus: les juifs en Egypte dans les années 56-57. Le héros, Kayro Jacobi, est un juif dans un monde arabe qui le devient de plus en plus, un capitaliste dans un monde qui devient communiste, un homme à la charnière de deux mondes.
Personne n'était capable d'arrêter la machine administrative des spoliations et des nationalisations des entreprises juives. C'était impossible. L'Egypte ne voulait plus de ses juifs. Les Egyptiens voulaient être un peuple qui vit seul sur sa terre. Et de ce fait, avec ou sans le concours de l'avocat El Moustagui, la cause de Kayro Jacobi était entendue d'avance: il se soumettrait, il partirait, ou alors il irait en prison. Peut-être ne l'ignorait-il pas lui-même. Peut-être au fond, et malgré ses tirades guerrières, le patron avait-il abdiqué l'espoir. Peut-être se préparait-il déjà, dans un coin de sa conscience, à l'abandon inéluctable des studios de la Kayro Films.
La structure romanesque est extrêmement travaillée et constitue la grande réussite de ce roman.
Le passé est mis en scène par une narration classique, racontant l'histoire d'un producteur de cinéma. Par ailleurs, le présent éclaire le passé: les survivants présentent leur vision des faits quelque 50 ans après, grâce à des témoignages que l'on sent presque arrachés. L'histoire est ainsi revisitée 50 ans après par des personnes qui ont 50 ans de plus et qui ont encore plus de chagrin d'avoir été chassés d'Egypte!
Comment? Non, non. Ca suffit. J'arrête, je raccroche si vous continuez. Ce n'est pas permis, dites-moi, vous comprenez le français? On ne le dirait pas, madame, on ne dirait pas que le mot pudeur, tact, respect of privacy, ça existe dans votre langue.
Non, madame, ça commence à m'énerver que vous soyez toujours sure de savoir avant moi ce que je vais dire ou ne pas dire.
L'auteure , dans un entretien à Paule Constant aux Ecrivains du sud, se décrit comme un écrivain de l'oralité. "J'entends les personnages parler, je ne les vois pas, j'entends leur incrédulité face à ce qui leur arrive." Beaucoup de dialogues rythment le récit; les témoignages des survivants sont mis en valeur par la suppression des questions de la journaliste.
Le sujet est un innocent, rattrapé par l'Histoire, face à son destin. Un innocent amoral, qui ment, qui trompe, qui bling-blingue avant l'heure, mais un innocent balayé par l'Histoire.
Le cinéma égyptien des années 40-60 était rayonnant, une industrie importante. Cette histoire est inspirée de celle d'un grand producteur, rattrapé par l'antisémitisme et l'anticapitalisme, chassé d'Egypte, condamné à l'exil en Italie pour sauver sa vie, qui dut abandonner tous ses films derrière lui et ne put plus jamais en tourner un seul. Le personnage du roman veut bien mourir en tant qu'homme mais pas en tant qu'artiste.
Une fois, en rangeant des papiers épars sur le bureau de son patron, Raymond tomba sur une page remplie tout du long d'une seule et même phrase, au tracé obsessionnel.
J’ai réalisé trente-deux films,
Que suis-je ?
J’ai réalisé trente-deux films,
Que suis-je ?
J’ai réalisé trente-deux films,
Que suis-je ?
Et ainsi de suite du haut en bas de la page.
Puis, un matin, il y eu la visite des dératiseurs.
L'auteure se sert de faits réels , comme lorsque Hollywood débarque pour tourner "La terre des Pharaons" réalisé par Howard Hawks qui sera interdit par Nasser pendant 5 ans.
Ce serait un grand honneur pour moi et un immense plaisir de vous servir de guide, d'interprète et d'encyclopédie ambulante. Puis-je vous demander comment vous est venu l'idée de me contacter? C'est flatteur mais j'ai peine à croire que ma personne et mes films soient connus à Hollywood. Si? ils le sont?
( )
Louons ici l'honnêteté intellectuelle de Harry Kurnitz. Pour lui, hélas, les conceptions occidentale et orientales du cinéma différaient de façon aussi radicale que le paisible cours du Nil et les chutes du Niagara. Kayro eut le coeur écorché par les vérités proférées sans méchanceté, avec humour par-dessus le marché -voilà le plus blessant-, par celui qu'il tenait pour un expert en la matière.
J’ai aimé le sujet du livre : comment réagit un innocent face à la tourmente de l’Histoire.
J’ai aimé que le héros refuse son sort, se débatte contre toute évidence, qu’il soit assez peu sympathique, ce qui rend sa lutte plus émouvante.
J’ai aimé l’époque et la situation : un juif en Egypte face à la montée de l’antisémitisme. J’ai par contre moins senti la montée du communisme incarnée par les deux sœurs de Kayro.
J’ai aimé découvrir le cinéma égyptien, la description des films, des ambiances.
J’ai aimé l’improbable amitié liée à la venue des cinéastes hollywoodiens de « Terre des pharaons ». Cependant les dialogues entre les deux amis m’ont souvent paru lourds et laborieux.
J’ai aimé et particulièrement aimé que le récit soit entrecoupé des interviews des survivants, quelque 50 ans après, purgé des questions. Les souvenirs et les perceptions de chacun ont forcément évolué.
Alors pourquoi, avec autant d’éléments passionnants, ce roman m’a-t-il laissée sans réactions ? Ce qui m’a dérangée pendant tout le roman, c’est mon impassibilité face à ces horreurs : est-il possible de se retrouver de marbre devant le drame des juifs égyptiens spoliés, chassés de chez eux ? J’ai lu ce roman de manière très hachée, ce qui a certainement nuit à ma concentration mais au final je pense que ce récit est un roman intéressant, mais pas un bon roman.
J’attends son adaptation au cinéma : il y a de quoi faire un excellent scénario.
Les droits d'adaptation pour le cinéma sont d'ores et déjà achetés.
L'auteure
Co-animatrice de l'émission L'Oreille en coin.
Créatrice de Pentimento ou l'enfance de l'art.
Productrice et animatrice de Cosmopolitaine (depuis 1999).
Membre du jury du prix Fémina depuis 1996.
Bibliographie
Lumière de l'oeil, Mercure de France, 1980.
Un baiser froid comme la lune, Mercure de France, 1983.
L'héritage de tante Carlotta, Mercure de France.
Déborah et les anges dissipés, Mercure de France, 1991. Prix Fémina.
La descente au paradis, Mercure de France, 1995.
Les femmes avec leur amour, Mercure de France, 1997.
Gilda Stambouli souffre et se plaint..., Mercure de France, 2002. Prix Europe 1, Prix Nice Baie des Anges.
Rachel-Rose et l’Officier Arabe, Mercure de France, 2006.