Gallimard, Juillet 1994
Résumé du livre :
Aujourd’hui, je préfère laisser la parole à Olivier Barrot, « un livre, un jour », sur fond de Guyane pour résumer le livre.
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPC94008829/paule-constant-la-fille-du-gobernator.fr.html.
4ème de couverture
Au lendemain de la Grande Guerre, le nouveau Gobernator du bagne, héros et gueule cassée, débarque à Cayenne pour y prendre ses fonctions. Il est accompagné de sa femme, l'admirable infirmière qui le soigna, et de leur fille Chrétienne âgée de sept ans.
Si le bagne représente pour les parents le lieu de l'expiation, de la rédemption, voire du salut, il est pour l'enfant celui d'une longue descente aux Enfers. Confiée aux bagnards, élevée, habillée, coiffée par les plus endurcis des criminels et les plus tendres des voyous, Chrétienne apprend la vie.
Dans sa jubilation et sa cocasserie, cette « Alice au pays des démons » est une superbe création littéraire dont la poésie désespérée ne peut être que le violent exorcisme de l'enfance.
Ai-je aimé ce livre ?
Oui, mille fois oui ! Pour le style de l’auteure. Je l’ai fini il y a quelques jours, il est truffé de petits papiers glissés entre les pages pour relire des passages qui m’ont marquée mais en fait c’est tout le livre qu’il faut relire. Ce que je fais !
Qui pourrait penser que cette femme en apparence si douce puise autant de force en elle pour écrire de façon si musclée, si féroce, si violente, si révoltée ? Dans une interview, elle cite trois traits féminins : « force, pouvoir et sublimation » ; j’ai retrouvé tout cela dans son style.
Ce n’est pas un livre de plage que l’on lit entre 2 châteaux de sable ! La Guyane et sa nature extrême, le bagne, univers carcéral fermé, et ses personnages terribles en sont la toile de fond. Un livre sur une enfance non pas maltraitée, mais mal traitée. Un jeu sur la dualité entre innocence et culpabilité : Chrétienne n’est pas seulement une enfant mal aimée, elle est aussi féroce au point de faire peur aux bagnards ! Un enfer où l’on dresse une enfant plutôt qu’on ne l’éduque : scène terrible où elle doit tuer un chiot qu’elle a abandonné. C’est un livre qu'il faut savoir recevoir.
Extrait d’une interview de Catherine Argand (Lire) le 01/04/1998 :
Vous évoquez la vie cruelle d'une petite fille sous les tropiques. Vous avez écrit aussi La fille du gobernator pour comprendre votre vie?
P.C. Oui, mon père, lorsque j'étais enfant, me terrorisait. Alors que nous vivions sous les tropiques dans des conditions précaires et éprouvantes, il nous disait que c'était un honneur, qu'il fallait se mettre au service des autres, savoir se mortifier. J'ai vécu mon enfance en proie à une immense culpabilité et c'est en écrivant ce livre où je décris toutes mes peurs d'enfant que je me suis délivrée du cauchemar.
Quelle est la part d'autobiographie dans vos romans?
P.C. Toute fiction se nourrit d'expérience en même temps qu'elle invente. Je vais vous raconter une anecdote. Après avoir écrit La fille du gobernator, je suis retournée sur les lieux du crime, à Cayenne. Pendant trois jours, sous le ciel bleu, je n'ai rien retrouvé de ce que j'avais évoqué. Aurais-je tout inventé? Et puis, la pluie tombe, les témoins de l'époque se font connaître. Suis-je enfin rassurée? Non, pas du tout, au contraire, je suis catastrophée: je n'ai rien inventé. Ce rapport ambigu que l'écrivain entretient avec la réalité est reconduit dans ses rapports à sa famille.
C'est-à-dire?
P.C. Il est terrible pour une famille de compter un écrivain dans ses rangs. Soit il est considéré comme un appareil enregistreur qui révèle des secrets de famille et leur donne un sens erroné. Soit comme un affabulateur. Je sais ce que c'est d'être parent et donc, consciemment ou non, d'être mis en accusation simplement parce que toute histoire commence avec des parents que l'on veut rapporter à son destin et qui ne veulent appartenir qu'au leur. La vérité, c'est qu'à partir du moment où j'écris mon roman familial, je l'invente. Forcément. Et lorsqu'il est achevé, j'accorde beaucoup plus de réalité à ce que j'ai écrit qu'à ce que j'ai vécu. Tout est littérature dans ma vie!
Je me souviens de mon père me disant dans mon adolescence: «Pense toujours, lorsque tu fais ou dis quelque chose, que tu es jugée par un mess de sous-officiers.» S'il savait comment la compagnie des femmes juge les hommes, comment elles se conduisent lorsqu'elles sont entre elles! C'est sans doute pour cela qu'on demanda longtemps aux dames de garder le silence.
Lorsque vous évoquez votre père, c'est comme si la statue du Commandeur se dressait d'un coup...
P.C. C'est pour lui sans doute que je me suis mise à écrire. Pour compter à ses yeux. Parce qu'un jour, comme je lui montrais devant une large assemblée une dictée où je devais avoir fait une vingtaine de fautes, il lança: «Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'elle ne sera jamais Françoise Sagan!» Après avoir lu La fille du gobernator, où il est question très clairement de lui, il m'a simplement dit: «J'ai un reproche à te faire, tu n'es pas allée assez loin.» Aujourd'hui encore, il a le dernier mot.
1949: Son père est nommé médecin des relégués du bagne
Interview de Paule Constant par Paula Jacques sur France Inter.
Extraits :
P 125 : Elle aimait traîner parmi eux, ils étaient gentils. Cassés, lessivés, éreintés, les bagnards étaient dénervés comme si on leur avait coupé les tendons. Ils n’étaient plus que de gros épouvantails inoffensifs, des bateaux démâtés, des buffles aux cornes rognées, des serpents édentés. En les amoindrissant la fièvre et les blessures leur redonnaient une identité humaine. C’est dans cette salle de soins qu’un paludéen l’avait saisie et pressée si fort contre lui que la fièvre lui avait traversé le corps en décharges brûlantes ; qu’un éclopé avait touché comme un ex-voto son pied nu et qu’un autre lui avait pincé la joue en la traitant de « petit bout de jambon ». C 'est dire la ferveur qu'elle suscitait.
P 135 : Il ne supportait pas le lent anéantissement du bagne, le pourrissement des hommes. Il était un preux qui avait épousé une sainte du Moyen-âge, ils avaient fui les temps modernes, mais la préhistoire, telle qu’elle s’était figée sur cette terre perdue, les terrifiait comme s’il ne tenait qu’à eux seuls d’humaniser tout cela, de défricher dans la forêt primaire comme dans les cœurs des brutes. Ils pensèrent peut-être à une sorte d’arche de Noé où deux par deux, en les nommant, bêtes, hommes, et plantes, ils eussent pu faire la comptabilité de l’énorme magma de vie, de l’atroce enchevêtrement des espèces, de la confusion des âmes. Habitué à la victoire, le Gobernator ne faisait plus de conquêtes.
P 137 : On attendait la Marie-Lise comme une délivrance. Au vent la Marie-Lise hissait ses voiles avec le voluptueux épanouissement d’un cacatoès qui s’empanache. Chez l’oiseau, chaque plume devient un pétale, sur le bateau, chaque voile devenait une plume que l’aurore irisait de rose ou de jaune. Au large sur la mer sombre, la Marie-Lise disait en se crêtant qu’elle allait partir ou, en s’effeuillant, qu’elle allait rester.
P 160 : Chrétienne saisit un escargot qui déroulait son pied pâle, elle le tint un moment entre ses doigts pour exciter ses cornes translucides que perçaient les minuscules points noirs des yeux et puis irrésistiblement elle se l’appliqua sur la bouche. En se rétractant le pied de l’escargot se serra sur ses lèvres, les enferma, les suça d’un baiser froid et mouillé. Maman, je t’aime.
P 163 : Il sentait que, chez Chrétienne, l’âme aux aguets réintégrait le corps amaigri, boiteux et enlaidi, qu’elle montrait même de l’impatience à reprendre le jeu extraordinaire de la passion, de l’amour et de l’émerveillement. Cette âme qui s’était égarée sur les crapauds, les poissons-chats, les bagnards, les têtes coupées et les nains de cirque ne demandait qu’à poursuivre son aventure, à continuer d’inventer, de jouer avec les mots, à ramasser les chiffres tombés au combat.
Paule Constant :
Docteur ès Lettres et Sciences humaines (Sorbonne), Paule Constant est professeur des universités et enseigne la littérature française à l’Institut d’Etudes Française pour Etudiants Etrangers de l’Université Paul Cézanne à Aix en Provence.
Elle a fondé le Centre des Ecrivains du Sud – Jean Giono, est représentante pour l’Europe du Conseil International d’Etudes Francophones, et fait partie de jurys de nombreux prix littéraires.
Le site de Paule Constant: link
Lire quelques articles sur les Ecrivains du Sud:
Ecrivains du sud 2010 , Prix des Etudiants et des Lecteurs des Ecrivains du Sud, Prix des lecteurs du centre des Ecrivains du sud 2012
Bibliographie :
Ouregano (1980) [Prix Valery Larbaud]
Propriété Privée (1981)
Balta (1983)
Essai :
Un Monde à l'Usage des Demoiselles (1987) [Grand Prix de l'essai de l'Académie française 1987]
White Spirit (1989) [Prix François-Mauriac, Prix Lutèce, Prix du Sud Jean-Baumel, Grand Prix du roman de l'Académie française]
Le grand Ghâpal (1991)
La Fille du Gobernator (1994)
Confidence pour confidence (1998) [Prix du roman France-Télévision 1998, Prix Goncourt 1998]
Sucre et Secret (2003) [Prix Amnesty des droits de l'homme (Prix du roman), Amnesty international Bruxelles, février 2003]
La Bête à Chagrin (2007)