Les arènes, mai 2011
J'attendais ce nouveau roman de Judith Perrignon avec impatience, j'avais tellement aimé son précédent: Les chagrins.
Lors des entretiens aux Ecrivains du sud, elle avait annoncé qu'elle travaillait sur un livre avec Eva Joly, "une femme qui a des choses à dire", pour laquelle elle ne cachait pas son admiration, et j'étais curieuse de savoir ce que la rencontre de ces deux personnalités allait donner.
La sortie du livre a été totalement parasitée par la primaire d'Europe-écologie-les verts qu'Eva Joly a finalement gagnée. Lire: Les yeux de Lira. Eva Joly, Judith Perrignon. (suite) . Je ne comprends pas vraiment que l'éditeur n'ait pas repoussé cette sortie, la promotion s'est faite sur de mauvaises bases.
On retrouve dans ce récit les thèmes chers à Eva Joly et sur lesquels elle a bâti sa réputation: la lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent, les commissions occultes. On retrouve, un peu dilué dans un sujet qui lui est peu familier, le talent d'écrivain de Judith Perrignon.
Mais pour moi, ce n'est pas vraiment un polar puisque les "gentils" et les "méchants" sont connus dès le début.
On se retrouve plutôt dans une enquête, menée par
un greffier (tiens donc!) au tribunal de Nice, Félix;
une journaliste (tiens, tiens!) à St Petersbourg, Lira;
et un ex-patron de la brigade financière du Nigéria, exfiltré de son pays et exilé en Angleterre avec sa famille pour sauver sa vie, Nwankwo.
Ces trois justes mènent une enquête qui deviendra une quête personnelle et dangereuse, leur Graal, pour que la justice et la vérité voient le jour.
Jamais ces trois-là n'avaient imaginé être ailleurs que dans la légalité, du bon côté, dans les rouages même grippés de l'institution. Les voilà espionnés, écoutés, poursuivis par un gouvernement, menacés de mort par des mafieux. Tous leurs poursuivants, quels que soient leurs méthodes ou leurs commandements, ont intérêt à la destruction des documents: le mode d'emploi des moeurs politico-financières doit rester occulte.
Les méchants sont un oligarque russe, un banquier des îles Féroé, un avocat, un ministre de la Défense français (un contrat de construction de navires militaires, transfert de technologie, tiens donc!), le gouverneur nigérian...
Elle enchaîne les questions sèches et de plus en plus brutales. Nwankwo écrit de plus en plus vite, il fait l'inventaire, la Jaguar, la Bentley, l'appartement acheté à une maîtresse, les notes du tailleur, derrière chaque facture, chaque marque luxueuse, c'est la misère de son pays qu'il hurle, il est dans un état second, il a les pupilles dilatées, les gestes saccadés, jamais un dirigeant nigérian n'a eu à répondre ainsi de son train de vie et de ses vols, ce qu'il n'a pas réussi dans son pays peut enfin avoir lieu, ici.
Et puis, l'assistant de Nwankwo est assassiné, la femme du banquier est retrouvée noyée, son assistant torturé et assassiné, le juge et ami de Félix déplacé, mis hors circuit, Lira est agressée, elle perd la vue, ils sont suivis, menacés, les politiciens bloquent les enquêtes.
Tu ne comprends pas! Louchski n'est pas du même calibre que tes clients habituels, c'est du lourd, du pétrole, du gaz, des armes. Il traite directement avec l'Elysée. Pas plus tard que la semaine dernière, il a signé un gros chèque à la présidente pour sa fondation. Louchski est hyperprotégé!
Ca se passe à Nice, à Lagos, à Saint Pétersbourg, aux îles Féroé, à Londres et se termine grâce à Twitter en feu d'artifice, au sens propre et figuré, dans la galerie des glaces et les jardins de Versailles.
Il n'est pas d'ici, il n'aime pas cette ville à la fois provinciale et démesurée, cette façon qu'elle a de mettre ses appâts et sa Riviera en avant, comme une pute gonfle sa poitrine. Nice s'est toujours vendue, elle aime l'argent, elle vote contre les étrangers et construit des palaces en forme de refuge hivernal pour monarques lointains, elle ne s'offre qu'aux dominants.
La corruption est mondiale, les réseaux aussi, et l'enquête le révèle très clairement: Eva Joly connaît son sujet!
Judith Perrignon a bien du talent. J'espère qu'elle retrouvera le chemin de son clavier, seule, pour lui laisser tout son espace pour s'épanouir, alors qu'elle semble jusqu'à présent privilégier les livres à 4 mains, enfin je devrais écrire à 2 têtes et 2 mains!