Suite à deux articles Langage SMS, ennemi de l'orthographe? , Langage SMS, ami de l'orthographe?, une étudiante en master de techniques de l’éducation m’a contactée et posé quelques questions sur le sujet. Voici un résumé de cet échange.
- 1. Quelles sont les différentes sortes d’erreurs ?
Celles qui gênent la compréhension et qui touchent à la grammaire. La non - connaissance des conjugaisons est dérangeante à la lecture, ne gène pas forcément (ou pas toujours) la compréhension mais stigmatise son auteur. Ce sont celles qui sont les plus pénalisantes et les plus difficilement corrigées par les correcteurs automatiques. Ce sont celles pour lesquelles il faut connaître la grammaire, réfléchir, se poser les bonnes questions.
Les fautes d’orthographe, extrêmement faciles à corriger d’un clic ; donc impardonnables !
Puis, les erreurs d’inattention ; on en commet absolument tous, en ne se relisant pas, en écrivant vite et en envoyant un message sans relecture.
Enfin, les erreurs de paresse : j’en ai fait un résumé dans Langage SMS, ennemi de l'orthographe? : pas envie de faire l’effort de réfléchir, pas envie de se poser la question, pas envie de prendre le temps, Cette tendance est importante chez les ados, favorisée par les communications par sms ou sur Facebook, et disparaît dès qu’ils sont confrontés au monde du travail et qu’ils réalisent que c’est pénalisant pour l’évolution de leur carrière et risque de nuire au sérieux de leur travail. Dans le meilleur des cas. Sinon, malheureusement, cette habitude de réfléchir n’est pas prise, le mécanisme ne s’est pas mis en place et c’est le cas le plus grave. Il est toujours possible d’apprendre à tout âge, à condition d’en avoir envie. Mais si l’on n’a pas envie…
- 2. Existe-t-il un lien entre les fautes dans les copies des élèves et le langage plutôt réservé aux technologies ?
Le langage sms est un code différent que les jeunes connaissent et utilisent quotidiennement. La langue française écrite est un autre code que certains possèdent mal, lisent mal, écrivent mal, et utilisent peu et seulement dans un cadre contraint : l’école. Imaginez que vous vous retrouviez en Italie, sans parler bien italien. Il vous manque un mot : vous essayez naturellement de dire le mot français en espérant que votre interlocuteur vous comprendra, ou en essayant de lui donner une connotation italienne, en mimant. Vous utilisez ce que vous connaissez pour tenter de communiquer. Le problème n’est pas le langage sms, le problème est la non - connaissance du français écrit. Les jeunes qui écrivent bien le français truffent rarement leurs copies de smismes !
- 3. La communication sur internet ou sms passe beaucoup par une écriture phonétique, cela peut-il jouer également sur les erreurs d’orthographe que l’on peut retrouver chez les jeunes dans un cadre autre que les communications informelles ?
Curieusement, l’adolescence est une période de la vie où l’on « écrit » peu. Fini le primaire où les professeurs des écoles surveillent la tenue des cahiers au quotidien. Au collège, les élèves prennent des notes. 1er exemple de langage écrit simplifié. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’il est souvent très difficile de comprendre les notes prises par quelqu’un d’autre, en raison de la simplification de ce code très personnel. Ils communiquent entre eux par un autre code, convivial, décomplexé, débarrassé des lourdeurs et de la difficulté du français écrit, rapide, ludique, qui de surcroit les ancre dans leur communauté aux dépens des adultes. Le seul moment où ils sont confrontés au besoin d’écrire correctement le français, c’est lorsqu’ils doivent écrire leurs devoirs. Et dans certaines matières, il y a peu à écrire. Combien de devoirs de français dans l’année ? Comment sont-ils corrigés ? Le professeur n’a-t-il pas plus envie de corriger le fond plutôt que la forme ? Tous ne sont pas égaux à ce moment-là, certains ont acquis les bases de l’écrit et d’autres non. Si à ce moment-là, la connaissance de l’écrit et de fait de la grammaire est imparfaite, c’est trop tard, et le langage sms, utilisé à partir de cet âge viendra suppléer à cette carence. Malheureusement, on dresse le constat, mais on ne fait rien pour les aider !
- 4. La communication via les technologies semble voir émerger un langage qui fait plutôt « effet de mode » tel que « c’est » peut se voir remplacé par « C ». Cela a-t-il une incidence sur le comportement orthographique des adolescents ?
Encore une fois, tous ne sont pas égaux. Certains connaissent leur grammaire, savent réfléchir, et font la différence entre « c’est, s’est, ces, ses, sais, sait ». Ils utilisent alors C dans leurs communications personnelles, mais savent conserver ce code dans les limites du support technologique (sauf distraction !). Et malheureusement, certains ne possèdent pas la compétence à la fin du primaire. Ils sont à ce moment-là exclus de la communication écrite. Et voilà qu’ils découvrent un code écrit qui leur permet de communiquer ! Tout à fait normal qu’ils l’adoptent, et qu’ils rejettent le français écrit.
- 5. Quelles sont les causes de « l’influence » du langage internet/sms sur l’écriture des adolescents ?
Il s’agit d’un langage facile, ludique, décomplexé, qui ne stigmatise pas « les bons » et « les mauvais », qui intègre le jeune dans sa tribu d’ados, qui lui permet de se positionner face aux adultes qui ne « captent » pas toujours. C’est leur mode de communication quotidien.
Quelle utilité y a t-il à chercher à écrire de manière compliquée et longue alors qu’il est si simple d’écrire facilement et rapidement ? Et pour dire la même chose !
6. Dans l’article: Langage SMS, ennemi de l'orthographe? , tu écris que « plutôt que de tenter de trouver la solution, il (le jeune) choisit la facilité et commet une faute volontaire ». Pourtant le fait de se trouver dans un cadre formel ne devrait-il pas l’inciter à chercher la bonne réponse, contrairement au cadre informel où cela devient finalement moins « important » ?
A-t-il envie de faire cet effort? Voit-il l’ intérêt de faire cet effort? Pense-t-il qu’il peut trouver la réponse?
Le cadre du collège favorise-t-il l’envie d’apprendre et de progresser dans ce qu’on n’a pas acquis au primaire?
Ce collège unique! Lorsqu’un jeune arrive au collège sans savoir écrire correctement, il ne sait pas non plus lire correctement, il ne sait pas non plus réfléchir correctement, il est inutile de continuer un programme qu’il ne pourra pas assimiler! Il y a déjà plus de 10 ans, en conseil de classe, j’ai entendu des professeurs décider de faire passer dans la classe supérieure un élève en échec scolaire grave et d’en faire redoubler un autre. ?????? Le second pouvait rattraper son retard, pas le premier dont il convenait donc de se débarasser au plus vite! Pas de structures pour ces jeunes , pas de rattrapage possible.
- 7. Le nombre d’élèves faisant des fautes a augmenté avec le développement des technologies de l’information et de la communication ?
Certainement. Et je suis même convaincue que la langue évoluera du fait de l’apparition de ces nouvelles formes de communication. La langue n’est pas figée, elle a toujours évolué, elle s’adapte au monde et à l’usage. Les médias l’ont déjà intégré : « C dans l’air », par exemple ! Il en existe tant d’autres. Déjà nos longues formules de politesse alambiquées sont en voie de disparition au profit du simple « cordialement ». Même à l’oral, on entend des accords de participes passés très folkloriques!
- 8. Lorsque des élèves commettent des fautes d’orthographe ou de grammaire, quelle est ta réaction ?
Mon rôle est particulier puisque je travaille avec des adultes qui veulent apprendre. C’est une relation normale de cours, sans aucun jugement de valeur, ce dont ils souffrent tous énormément. Tous, absolument tous, souffrent de leurs lacunes et se plaignent de ne pas avoir été bien aidés, guidés, soutenus, encouragés. D’avoir été abandonnés face à leurs difficultés. Critiqués. Lorsqu’une leçon n’était pas comprise ou pas apprise, mauvaise note, on passe à la suivante ! La leçon ne sera jamais sue ! Et on empile ainsi les lacunes.
- 9. Quelle est ta démarche ?
Avec chaque personne, ou chaque groupe, faire un bilan. On regarde ensemble le point de départ, on détermine ensemble notre point d’arrivée. A moi d’adapter mon enseignement à cette personne ou ce groupe en particulier pour atteindre ce but, dans le temps imparti.
Refaire régulièrement cet exercice. A moi de montrer et valoriser le chemin parcouru, signaler là où doivent porter les efforts. A moi d’expliquer ma méthode. A eux de m’indiquer là où ils n’ont pas bien compris, là où ils souhaiteraient que j’approfondisse, là où ils souhaiteraient des changements ; les critiques sont toujours positives lorsqu’elles permettent de s’améliorer. Et si nous ne sommes pas d’accord, nous nous expliquons. Cette mise à plat régulière est vraiment importante et pourtant jamais faite à l’école.
Encourager. Valoriser.
S’amuser. Rechercher toujours l’intérêt de ce que l’on fait.
Dédramatiser l’erreur, elle est humaine, et nous sommes perfectibles. Toujours montrer le chemin parcouru.
Cela s’appelle de la pédagogie.
Et puis :
Reprendre tout au début.
Faire de la grammaire qui est le fondement de la réflexion de la langue.
Répéter. Corriger. Répéter. Corriger. Répéter...
S’amuser.
- 10. Cela suffit-il à régler le problème ?
Oui.
- 11. Dans ton article, tu dis qu’il serait temps « de chercher à adapter l’enseignement, à réfléchir à toute la chaîne pédagogique, pour lutter contre la baisse du niveau de l’écrit dans les jeunes générations ». Quelle serait, selon toi, la solution à adopter afin de régler ce problème ?
Il n’y a pas de solution miracle. Il faut s’adapter et à deux niveaux : au primaire et au collège. Il n’y a pas les mêmes besoins. (En plus, selon les populations, les besoins et les compétences ne sont pas les mêmes. La même chose pour tous en même temps est une hérésie utopique ! )
Au primaire, on doit apprendre la langue.
Au collège, on consolide et on utilise.
Et comme le français a une grammaire difficile, on fait de la grammaire. De manière pédagogique.
Et dans l'enseignement de la grammaire, on revient sur les fondamentaux et l'analyse grammaticale. Cela va à l'encontre de toutes les méthodes actuelles. Aujourd'hui, on travaille en transversal (1). C'est intéressant, mais le problème est que l'on ne consolide pas et cela ne correspond pas à tout le monde. De plus, on ne structure pas la langue donc pas la pensée. Or, le choix actuel est : l'élève doit s'adapter à l'enseignement qui lui est proposé et non pas nous adaptons l'enseignement aux élèves.
Et dès le début, on ne laisse personne sur le côté, c’est scandaleux ! On revient sur ce qui n’est pas su, ni acquis. Il est inutile de chercher à poser une fenêtre lorsque les fondations vacillent et qu’il y a des fentes dans les murs !
Pendant des années, j’ai enseigné le français langue étrangère. Par exemple, en un an, en cours intensifs de 8H par semaine, j’apprenais à des adultes étrangers à parler et à écrire couramment notre langue. Et nous ne serions pas capables d’apprendre à nos enfants à l’écrire alors qu’ils le parlent déjà quotidiennement ?
(1) L'enseignement transversal est appliqué à toutes les matières. Prenons un exemple simple en langue étrangère. De quoi avez-vous besoin pour acheter votre pain? Connaître un peu de vocabulaire autour du pain, savoir dire bonjour, au revoir, savoir dire: je voudrais ( première personne conditionnel présent), savoir compter, comprendre quelques expressions comme: "Et avec ceci?; Ce sera tout?" Dans l'enseignement actuel, vous savez à peine répondre à la question : "Comment vous appelez-vous?" , on vous apprend déjà: "Je voudrais une baguette." Le but est clair: vous donner les moyens de communiquer le plus rapidement possible. C'est bien. Ainsi, on apprend la première personne de l'indicatif présent de certains verbes, puis la première personne du conditionnel présent d'autres verbes, et la première personne du subjonctif présent encore d'autres verbes. On saupoudre. Il faudrait après cela que l'on consolide et qu'on apprenne à conjuguer toutes les personnes, de toutes les familles de verbes. Mais non, c'est toujours remis à plus tard! Et beaucoup d'élèves sont perdus. On oublie qu'une langue possède une structure et que sans elle, on ne peut rien construire. On considère que l'on a besoin de savoir ouvrir une fenêtre, mais on oublie que pour tenir, une fenêtre s'appuie d'abord sur des fondations et sur un mur. Par ailleurs, pour une langue étrangère, on oublie également que la personne a déjà acquis une première langue et donc une structure de pensée et qu'il faut aussi s'appuyer sur les savoirs existants pour accompagner son nouvel apprentissage.